Tranquille mais pas trop !
Pour aller dans la continuité de la fin de mon dernier article, je dirais que cette transat à été tranquille mais pas trop.
Un capitaine (Patrick) qui connait parfaitement son sujet (il était skipper pro dans sa jeunesse tout de même !), un cuisto (Najib) qui nous a fait des merveilles, même lorsqu'il avait le mal de mer, ce qui relève de l'exploit, un matelot (Cyriac) véritable bout en train et excellent à la manœuvre, et un deuxième matelot (moi), dévoué à son capitaine, ferru de débats et de lecture (oui oui c'est nouveau) et heureux tant qu'il pile les autres aux cartes...
Mais aussi un bateau hyper bien équipé avec : un hydrogénérateur (turbine permettant de recharger les batteries avec la vitesse du bateau), un panneau solaire (même fonction), une trinquette (petite voile très utile remplaçant le génois dans le vent fort), le matos de pêche au top, un sextemps (si si on s'en est servis, enfin on a essayé), un GPS, un Iridium (qui permet d'avoir les prévisions météo)...
Najib chill |
Je disais donc tranquille, mais pas trop non plus. En effet, après avoir fait deux bonnes heures de moteur en quittant le port dans une grosse houle résiduelle pour se dégager de la dévente enjendrée par le mont Teide qui culmine à 3715m d'altitude, le vent est enfin arrivé. Nous avons vite oublié la déprime du départ au moteur et étions tout excités de voir l'anémo grimper. En quelques minutes, vingt-cinq noeuds établis, qui ne nous quitterons plus jusqu'à l'arrivée en Guadeloupe. Et nous ne toucherons quasiment plus au moteur de la transat (juste quelques heures pour recharger les batteries). On remplace le génois par la trinquette et c'est parti pour six jours de grand largue sur le même bord, force 6 forcissant 7 la nuit, longeant la côte marocaine en direction du Cap Vert.
Six jours dont les trois premiers avec le mal de mer (bien que pas malade non plus c'est important de le préciser 😊), le temps de s'acclimater à la cabine. Trois jours c'est très long. Je me demandais un peu ce que je foutais là avec ce froid malgré l'ensoleillement, emmitouflé dans ma veste de quart en attendant que ça passe. Najib était comme moi, tandis que Patrick et Cyriac nous disais qu'ils ne savaient pas ce qu'est le mal de mer, ne l'ayant jamais eu... Je me dis pour me rassurer en écrivant ces lignes qu'on ne peut pas vraiment connaître la mer si on ne connait pas le mal de mer !
Au bout de trois jours on commence à s'acclimater, chacun prend son rôle naturellement (Najib à la cuisine, Cyriac et moi aux manœuvres et à la vaisselle et Patrick au routage et aux réglages). On commence à prendre le rythme des quarts, même si la fatigue est toujours un peu là car il ne fait pas chaud, alternant les créneaux de 21h-minuit, minuit-2h, 2h-4h et 4h-7h (le plus dur).
Sixième jour, premier empannage, première dorade, et arrivée de la chaleur ! On enlève les vestes de quart, tout en gardant un pull car il y a toujours force 6, on guette de plus en plus souvent la canne à pêche et on profite des siestes sous le soleil chaud. Le kiff ne commence que maintenant, mais ça vallait le coup d'attendre. On peut lire peinard sur le pont, prendre les repas dehors et on commence tout juste à bronzer (on est encore bien palo jusque là). Et surtout, ça fait du bien de voir sur le traçage qu'on est en direction de la Guadeloupe (on allait vers le sud jusqu'à maintenant).
Patrick découpe le poisson |
"La rate pas celle-là !!" |
La plus grosse : 1,02m |
Le but du jeux est alors de caper au maximum vers la Guadeloupe sans se retrouver vent arrière (sans spi, le vent arrière est une allure lente et éprouvante pour le matériel, mais nous avons quand même parfois réussi à mettre le génois et la trinquette en ciseaux quand la houle le permettait). À partir de ce jour là c'est une dorade par jour (souvent aux alentours de 8h ou de 11h), un bouquin par jour, deux parties d'ascenseur (une avant l'apéro de midi et une autre avant l'apéro du soir, souvent gagné par moi même, ce qui permet de maintenir la bonne humeur 😊).
Ciseau avec la trinquette et le genois |
On refait le monde, les discussions portent sur la mer, les marins, la météo, l'histoire, l'intelligence artificielle, le transhumanisme, la technique et le progrès, l'architecture, nos projets, nos rêves, les femmes, nos expériences de naviguation etc... Toujours de quoi grandir et apprendre ! C'est ça que j'aime : grandir et apprendre. Et avec des profils aussi divers et la différence de génération, c'était juste parfait.
La transat c'est aussi beaucoup de contemplation, de réflexion, et inévitablement de glandouille. Oui, pendant dix-neuf jours dans vingt mètres carrés avec le même paysage du début à la fin, on a le temps de glander. Il faut d'ailleurs savoir glander un minimum pour ne pas devenir fou. Ceux qui me connaissent doivent se dire que j'étais dans mon élément, mais ils seraient épatés par la capacité de glandouille de certains autres ;). Pourtant pas grand lecteur à la base, je n'aurai pas tenu sans tous mes bouquins. J'en ai conclu en observant Patrick, en pensant à d'autres purs marins et en lisant la biographie d'Olivier de Kersauson que les vrais marins peuvent passer des dizaines et dizaines d'heures à regarder la mer sans s'ennuyer. Pour illustrer le rythme de certaines journées voici une phrase sortie de la bouche de Patrick : "Bon aller cette aprèm cest repos", après avoir effectué deux manœuvres de 15 minutes dans la matinée. D'ailleurs la devise de la transat est "faut pas s'énerver". Comprenez qu'il faut avoir la cool attitude, si je puis reprendre une expression un peu démodée. Dans les pépites de la transat j'ai aussi noté : "il aura fallu attendre 50 ans et une transat pour que je me tape une lessive" ça nous a bien fait rire et m'a immédiatement fait penser à mon cher père (sans rancune Papa ;)).
Malgré des pointes de vitesse à 15 nœuds (!!!), Le bateau est lent. Très lent. Ça ne fait jamais que 25km/h, et encore ça c'est la vitesse en surf dans une vague de 5 mètres. Sinon c'est plutôt 7-8 noeuds, ce qui est déjà pas mal pour ce genre de bateau (moyenne de la transat : 6,53 noeuds). Tous les matins sur le traçage on se regarde tous en pensant la même chose : on avance que dalle ! Mais bon on a notre petit rythme et on est pas si pressé d'arriver, sauf quand on pense au burger ou à la côte de bœuf qu'on va se démonter à l'arrivée (pardonnez mon langage mais malgré les talents de Najib à la cuisine, on en rêvait de cette côte de bœuf). Pas pressé d'arriver, on est même plutôt bien tous les quatres, coupé du monde. Il faut dire qu'en 19 jours, à quatre dans 20 mètres carrés 24h/24h, il n'y a pas eu un moment de tension. À peine une petite explication le troisième jours pour clarifier certains points mais c'est tout. Ça c'est une bonne surprise !
Pendant 19 jours c'est donc toujours le même paysage, et on ne croise pas un chat. Seulement deux voiliers de croisés au large. Nos seuls amis sont les dauphins, les dorades coriphènes et les poissons volants qui s'écrasent sur le pont par dizaines (je m'en suis même pris un en plein dans l'épaule, on n'est tranquille nul part...).
Le seul changement de paysage est apparu à quelques centaines de milles de la Guadeloupe, où les grains sont apparus par dizaines. Prévisibles car repérables au loin, ils ne sont pas dangereux mais tout de même assez costauds. On a vu à chaque fois l'anémo dépasser les 40 noeuds. Dans ce cas là, il vaut mieux avoir anticipé et réduit la voilure ! On les repère au loin, juste avant leur arrivée le vent s'essouffle de quelques noeuds, puis c'est parti pour la pluie torrentielle. 20, 25, 30, 35, 40 noeuds, la force du vent double en quelques secondes ! La première fois ça surprend un peu, ensuite on en profite pour prendre sa douche :)
Grain au large de la Guadeloupe |
Puis enfin arrive le jour où on voit la terre. Impossible à ce moment là de ne pas avoir une pensée pour tous ces navigateuna de l'ancien temps, qui sont arrivés les premiers sur ces îles sans feu ni chenal, et sans côté de bœuf à l'arrivée. Alors que ces aventuriers se demandaient comment accoster cette île et s'ils allaient survivre, je me contentais de suivre les feux du chenal et me précipitais sur mon smartphone pour voir si Federer avait gagné l'Open d'Australie. Une autre époque...
Première vue de la Guadeloupe |
Arrivée à Pointe à Pitre |
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RépondreSupprimerOn a l'impression d'y être... alors tu connais maintenant le mal de mer... gloups !
RépondreSupprimerMerci pour les photos et le récit vivant... on s'y croit !!
Merci Tiff, oui je l'ai connu, mais on avait connu bien pire étant petit (je ne te fais pas un dessin :)) Heureusement ça fini par passer !
SupprimerMoi qui croyais que j’etais le seul de la famille à avoir le mal de mer. Me voici rassuré ! Merci pour ce récit passionnant.
RépondreSupprimerDe la part de Marino
SupprimerPassionnant ton récit, Tom ! Je suis fan, même des détails techniques (vite fait...). Comme dit Tiffany, on s'y croit, tu as un vrai talent de conteur !
Merci beaucoup ça me touche énormément et me donne envie d'écrire le prochain !
SupprimerA l'image de son grand-père, derrière le scientifique émerge le littéraire !
RépondreSupprimerPapa