Secret Island




Avez-vous vu le film La Plage ? Richard, un américain parti en Thaïlande en quête de sens et de sensations, y découvre une île secrète, coupée du monde, où vit une petite communauté à l'écart de la société. Son expression en découvrant la plage immaculée (Dicaprio et Guillaume Canet découvrant le paradis) illustre parfaitement notre réaction lorsque nous sommes arrivés à Secret Island, le cœur battant devant tant de beauté. Un sentiment exacerbé pour ma part par les heures passées sur Googlemaps et Windguru à imaginer, analyser, rêver ce spot les semaines précédentes, en visualisant Albane tirant ses premiers bords en autonomie et moi réalisant mes meilleurs tricks sur cette eau transparente. Un sentiment que partagent un grand nombre de passionnés dès qu'ils passent devant une quelconque étendue d'eau en se demandant : "Ce spot est il kitable ? Sauter de cette falaise en kite est-il faisable ? Quelle force de vent faudrait-il pour sauter par dessus ce banc de sable ?". Cela fonctionne aussi pour d'autres passions : je me surprends encore aujourd'hui à avoir une réaction étrange lorsque je croise un terrain de tennis en dehors du contexte où je le pratique d'habitude. Je vous laisse nous partager vos pulsions étranges liées à vos passions. Mais revenons à ce fabuleux spot bien gardé.

Situé à deux heures de speedboat au large de Coron, Secret Island est composé d'une île principale où vit un petit village de pêcheurs, et d'une petite île, encore vierge il y a quelques années, avant que Kim et sa femme, nos hôtes, décident de s'y installer six mois par an pendant la saison du vent.

Parti du Danemark à la voile il y a 10 ans, Kim Jacobsen, la cinquantaine, a effectué l'équivalent de deux tours du monde au départ de chez lui pour les Antilles, puis les Galapagos, la Polynésie, les îles Cook, Samoa, Fidji, Salomon, la Papouasie, l'Indonésie et les Philippines. En bon loup de mer, il ne s'épanche pas sur ses aventures mais nous captive lorsqu'on commence à le questionner, sur son escale en Papouasie par exemple ou ses nombreuses traversées. Stoppé dans son élan par le covid pour poursuivre sa route vers l'Afrique du Sud puis le Brésil, c'est avec ses deux amis le rejoignant pour la plupart des traversées, qu'il a repéré le potentiel de ce spot.

Ce spot regroupe tout ce dont un kitesurfer peut rêver, qu'il soit débutant ou expert. Un immense lagon dont les bleus varient le long des bancs de sable, et où l'on a pied partout. Le sable est, bien-sûr, blanc et fin, et les seuls obstacles pour les pieds sont les étoiles de mer. En débutant, c'est comme être en pleine mer loin de tout danger ou obstacle, mais en ayant pied. En kitant, on y croise des tortues, des poissons volants et plus rarement de petits requins inoffensifs. Un vent stable, fiable et consistant vient s'engouffrer entre les deux îles créant un effet venturis pour le plus grand bonheur des amateurs de kite, atteignant souvent 30 nœuds établis. Les innombrables zones de flat offshore donnant l'impression de naviguer sur un miroir sont idéales pour le freestyle, et se transforment en terrain de jeux parfait pour le big air, lorsqu'on dépasse les 25 nœuds. Les amateurs de vagues ne sont pas en reste avec un superbe reef à droite du spot offrant de belles vagues atteignant régulièrement une taille d'homme, quant aux foileurs, ils trouveront leur lot d'eau profonde du côté gauche. La faible capacité d'accueil de l'île (20 personnes max), et la relative difficulté d'accès sont nos meilleurs alliées pour préserver ce spot de la foule.

Après avoir parcouru la Bretagne, le Nord, le Sud, l'Ile de Ré, l'Indonésie, le Maroc, Tarifa, les Caraïbes, Maurice, la Colombie, Madagascar, est-ce aux Philippines que nous avons trouvé le spot parfait ?

En arrivant, on a pu constater avec Kim, qui rejoignait son île pour la première fois depuis 6 mois (covid oblige), les dégâts provoqués par le typhon Odette. Epargnés à Manille mais culpabilisant d'abandonner le navire après les ravages provoqués chez nos collègues de Cebu, on a pu se rattraper en aidant nos hôtes à remettre le site en ordre. Toits arrachés, cabanes déplacées de plusieurs mètres, arbres et plantes amochés, comme tout ceux se trouvant sur le passage du typhon, Kim ne s'attendait pas tant de dégâts. Ramassage de déchets, déblayage, cuisine, on met la main à la pâte et c'est aussi ça l'esprit "Secret Island" que Kim et sa femme Juve souhaitent pour ce lieu. Pas de tourisme de masse, très peu de communication sur les réseaux sociaux, clientèle majoritairement danoise proche des propriétaires, mais ouvert à tous ceux qui veulent venir ici comme ils viendraient chez un ami, en apportant quelque chose au lieu. Par ailleurs, les prix sont très corrects et Kim nous a même demandé de ne pas compter nos heures de kite, le règlement de la location se ferait sous forme de don.

On vit sur cette île comme sur un bateau avec les avantages et les inconvénients de la vie en mer. Une fois les provisions de légumes écoulées, les boites de conserves prennent le relais mais le poisson frais et les calamars abondent du village de pêcheurs de l'île voisine, et le four tourne à plein régime pour l'approvisionnement en pain. L'hôtel tout fait de bambou, est alimenté en électricité par un réseau de panneaux solaires, l'eau de la douche est légèrement salée en sortant du déssalinisateur, et on ne peut communiquer avec la terre que par téléphone satellite (utile pour demander aux amis à terre de nous envoyer les prévisions de vent). Il n'y a pas donc pas grand chose à faire en dehors du kitesurf et la magnifique mais exigeante randonnée vers le sommet de l'île. Autant vous dire que le bar, la malle à jeux de société et la bibliothèque sont bien fournis, et le hamac souvent occupé.

La pêche du jour

Quand on veut renouer avec la population, le village de pêcheurs est à porté de kite, ou de pied par marée basse. Kim fait régulièrement appel aux dons de la communauté danoise pour les aider lors d'un sinistre. Le typhon les a relativement épargnés, mais combinées au vents forts saisonniers empêchant les pêcheurs d'aller en mer, les conditions de vie du village, qui ne vit que de pêche, s'apparentent plus à de la survie qu'à la "boat life" de leur voisin d'en face.

En face, le village de pêcheurs

En assistant aux différents échanges entre Kim et les locaux pour savoir qui et comment les aider, on a encore une fois (en plus de notre quotidien à Manille) appris à quel point il peut être délicat d'aider les autres. Obtenir une cagnotte de 100,000 pesos (près de 2000€) auprès de sa communauté en moins de trois jours après le typhon était fort mais reste la partie la plus facile. 

Donner au chef du village reviendrait à ne rien donner du tout, le court-circuiter ne facilite pas les relations, et donner aux plus touchés créera inévitablement des jalousies dans un village de 2000 personnes où tout le monde se connaît. C'est à se demander si ça en vaut bien la peine, mais Kim n'est pas de cet avis. Avec l'aide de sa femme philippine, du home keeper de sa guest-house ex-habitant du village, il a réussi à créer une liste des plus nécessiteux. Ne voulant sagement pas donner directement quoique ce soit aux habitants, il s'est tourné vers l'unique magasin de riz du village, avec qui il entretient une bonne relation, pour subvenir aux besoins en riz des habitants figurant sur cette liste. Une forme d'humanitaire qu'on n'encourage pas forcément, rendant les populations complétement dépendantes. Mais comment ne rien faire quand on kite toute la journée devant les pêcheurs chétifs se protégeant du soleil comme leur de leur pire ennemi, ne comprenant pas nos désirs de bronzage ? Kim en a bien conscience et nous confie qu'il sait bien que son action n'a vocation qu'à "allonger la durée de la sieste des pères de famille en ces temps difficiles". 

Comment les aider le plus efficacement possible ? Notre grand maître Joseph Wresinski nous dirait probablement de le demander aux concernés, et de ne pas penser à leur place. Il est difficile de comprendre leurs besoins. Autant qu'il l'est pour eux d'interpréter le notre - vital - en lignes, barres, et cerfs-volants gonflables. 

Repensant à mes amis de la Guajira vivant dans les mêmes conditions, j'ai bien ma petite idée : donnez leur un kite, une planche et vous les retrouverez au King of the Air quelques années plus tard ! C'est ce qui est en train d'arriver à Beto Gomez, fils de pêcheur de cette zone aride sans eau courante ni électricité avec qui je naviguais tous les jours à Cabo de la Vela (voir l'article sur mes six semaines passées la bas en 2018). On l'a croisé complètement par hasard à une compétition de kite à Gruissan en Octobre dernier ! Regardez cette interview de lui pendant le Lord of Tram. Dingue de voir jusqu'où le kite a emmené ce jeune que la vie destinait à endurer la dure vie de pêcheur. Alors pourquoi pas ici ?

Probablement le plus grand sourire qu'il nous ait été donné de voir

A moins d'être drogués au kite, on ne reste donc pas des mois sur cette île, mais on ne part pas non plus tout à fait quand on veut. Comme en bateau, on scrute la météo avant de mettre le nez dehors et d'envisager retourner sur l'île de Coron. De notre côté, il semble que j'ai un peu trop prié Eole et, trop content de voir les 30-35 nœuds arriver et voir mes nuits raccourcir progressivement sous l'effet de l'adrénaline, j'ai mal anticipé notre retour. Comment anticiper quoique ce soit de nos jours quand on n'a pas internet, et puis c'est tellement bon d'être coupé du monde…

Comme ça arrive souvent ici, les prévisions annonçaient une semaine de force 7 à la date prévu pour notre départ. Impossible dans ces conditions de rejoindre Palawan comme prévu pour réveillonner avec nos amis déjà sur place. S'y diriger, les vagues dans le dos, nous ferait enfourner le hors-bord, malgré ses douze mètres, entre deux vagues. Rentrer directement à Coron, les vagues de trois quart face, est impensable pour tenir le bateau. 

La seule option, potentiellement risquée et à coup sur sportive, est de prendre la direction imposée par les vagues en les prenant de côté, légèrement de dos, jusqu'à se retrouver abrités par les premières îles, puis remonter jusqu'à Coron, abrités par ces dernières. Jamais je n'aurai pensé prier pour que le vent baisse. L'option d'attendre minimum six jours une accalmie incertaine nous faisant rentrer trop tard au boulot, on a opté pour la traversée sportive. L'expérience et l'assertivité de notre capitaine nous ont donné totale confiance en ses capacités de renoncement, ne cédant pas sous la pression de son équipage. Il se montrera particulièrement bon pilote aux manettes de ses 150 chevaux ; nous sommes arrivés à bon port avec au passage une magnifique visite (forcée, pour éviter les vagues) de l'archipel de Coron et un passage secret par les mangroves.

Pour enfoncer une porte ouverte, je conclurai comme le film La Plage, où le bonheur se trouve dans la quête et non dans la destination. Loin de moi l'idée de finir mes jours à me dorer la pilule entre deux sessions de kite, et ce spot, aussi parfait soit-il, n'a pas effacé les dizaines de spots que je rêve encore de découvrir, mais une chose est sûre, on y retournera. 









































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